Pourquoi a-t-on envie de passer des vacances dans un pays chaud l’hiver

Avoir envie d’aller dans un autre hémisphère l’hiver n’est pas une question de besoin de soleil et de lumière.

L’hiver est là, vous êtes fatigué. Et ce ne sont pas les gargantuesques repas de fête et de famille qui vous auront reposé. Surtout que vous êtes plutôt du genre à prendre vos vacances à la belle saison. Ce qui est bien dommage, déplorait déjà en 2012 dans le journal La Croix la médecin du sommeil Sylvie Royan-Parola: «En été, le corps est programmé pour une plus grande activité physique car les journées sont plus longues. On devrait donc se reposer davantage l’hiver, notamment en décembre et en janvier, qui sont des périodes difficiles, et augmenter nos efforts en été.»

Prendre des vacances, d’accord. Mais pas facile de savoir quelles sont les vacances faites pour vous… S’il existe chez les CSP+ une quasi-injonction hivernale au départ aux vacances au soleil, c’est parce que l’astre lumineux draine avec lui tout un imaginaire. Partir au soleil, afin de se rebooster en faisant le plein de vitamine D? Comme le relève l’anthropologue Saskia Cousin, notamment co-auteure avec Bertrand Réau de Sociologie du tourisme (La Découverte, 2009), «si le besoin physiologique de lumière semble réel dans certains pays situés très au nord de l’Europe, cela relève pour la France du marketing, c’est une construction sociale et historique, très médiatisée mais qui n’est concrétisée que par une toute petite partie des Français, au niveau de revenu élevé.»

Sea, sex and sun in winter… les vacances au soleil sont associées d’abord à un imaginaire érotique. Mais aussi social, explique le sociologue Jean Viard, auteur de l’ouvrage Le triomphe d’une utopie – Vacances, loisirs, voyages: la révolution des temps libres (Éditions de l’Aube, 2015): «Dans notre société, il faut être légèrement hâlé en permanence. Il n’y aurait pas un présentateur télé qui accepterait d’être filmé tout blanc, c’est pareil pour les politiques: vous êtes blanc, on pense que vous êtes malade. La scène publique est une scène du hâle intelligent et le bronzage un signe d’appartenance sociale.» Saskia Cousin évoque aussi une «logique de distinction et de reconnaissance sociale»: «De retour de vacances, il est plus distinctif de raconter son réveillon aux Maldives que le Noël passé dans sa famille berrichonne.»

Déconnexion

Autre raison qui fait qu’en hiver les pays chauds deviennent plus attrayants que la montagne et ses pentes enneigées, pourtant elles aussi communément associées à un grand ciel bleu éblouissant (qui aime skier sous une tempête de neige?): le prix. «On est en train de remplacer un peu les sports d’hiver par des vacances au Sud, ajoute Jean Viard. Au fond, c’est lié au low-cost. Il devient moins cher de partir huit jours au soleil que d’aller au ski. Surtout que le ski est monté en gamme et est devenu plus cher.» Sans compter que «skier est devenu une activité sportive; avant, c’était un jeu mais aujourd’hui les pistes sont devenues un espace de domination des bons skieurs, qui exclut les gros, les vieux, les pas sportifs… ceux qui descendaient en chasse neige. Cette culture de compétition et de fric fait que les braves gens ne vont plus au ski».

Ce nouvel élément culturel, qui rompt avec le traditionnel rythme de l’été à la mer et de l’hiver à la montagne, «casse le lien avec les saisons», poursuit le spécialiste du tourisme et des loisirs: «On se désaisonnalise, c’est arythmique, comme de manger des tomates en plein décembre.» Or c’est aussi cela qui peut donner envie de passer ses vacances au chaud. C’est un moyen de se déconnecter radicalement de son travail et du train-train quotidien. «Un de mes amis ivoiriens vient en France pour les vacances parce qu’il a, dit-il, envie et besoin de froid, ajoute l’anthropologue et maîtresse de conférences à l’Université Paris-Descartes. L’attrait du pays chaud relève d’un désir de changement, de hors quotidien.»

Surtout que, «comme nous sommes dans une société où les femmes travaillent, le couple a changé de nature. Les gens ne se voient plus dans la semaine mais pendant les vacances, qui sont le lieu central de l’affection. Les vacances deviennent donc les moments de l’amour et ceux où l’on fait des choses avec ses enfants», souligne Jean Viard. Résultat: «Le ressourcement, qui était plus hebdomadaire dans les sociétés traditionnelles, est concentré pendant les vacances.»

En outre, «dans notre société du stress, se reposer égale se déconnecter». Et partir loin devient un moyen d’y parvenir, puisque les frais d’itinérance augmentent à tel point la facture que vous avez tendance à ne pas consulter vos emails aussi souvent que dans la mère patrie. «Le stress ne se repose pas de la même façon que la fatigue physique. Un court séjour peut permettre de déstresser brutalement; c’est un bain de jouvence. Comme quand vous cassez un verre pendant une soirée, ça calme tout le monde.» Une solution qui n’est toutefois pas la panacée, nuance Saskia Cousin:

«On explique ainsi aux gens que, s’ils ne se sentent pas bien dans  leur travail, c’est finalement de leur faute car ils n’ont pas su ou pu se payer un voyage lointain. Au lieu de se poser des questions sur l’organisation du travail, on fait reposer l’injonction au bien-être au travail sur la capacité des gens à optimiser leur temps libre. Un départ dans un pays chaud et lointain ne résoudra pas la question de la souffrance au travail.»